Ce petit bâton de sucre de canne parfumé à la pomme, simple et rustique dans son emballage d'un autre temps, a des saveurs de pressoir et de cellier. C'est la petite douceur des Rouennais, comme les Montiliens ont leur nougat et les Cambrésiens, leurs bêtises.
Une robe joliment ambrée et, dans la bouche, un parfum suave qui vous donne la nostalgie du pays. Pas question de quitter Rouen sans emporter dans ses bagages sa petite collection de bâtonnets.
Son histoire est ancienne. On croquait déjà le sucre de pomme au XVIème siècle. Mais pour des motifs beaucoup plus honorables que la gourmandise. On lui prêtait en effet de nombreuses vertus, entre autres celles de soigner les maux de gorge, et surtout de guérir de la mélancolie! Bien doux devait être le mal qui ordonnait un remède si délicieux.
C'est donc dans l'officine d'un apothicaire (corporation qui détenait encore à l'époque un quasi-monopole sur les préparations à base de sucre) que naquit un jour le sucre de pomme. Et ce serait un Espagnol, sucrier-raffineur de son état, qui en aurait enseigné la recette aux Normands. Le 18 avril 1548, Balthazar Sanches s'engageait à demeurer deux ans chez un certain Pierre Dubosc, marchand apothicaire pour lui apprendre l'"état de sucrier et raffineur de sucre". Heureusement, le sucre de pomme échappa très vite au privilège des seuls mal portants pour devenir la friandise emblèmatique de la capitale Haut-Normande. Depuis l'entrée d'Henri II dans Rouen en 1550, on prit même l'habitude d'offrir aux hôtes prestigieux de passage plusieurs échantillons de sucre de pomme. On sait par exemple que l'impératrice Marie-Louise en reçut, en 1813, un assortiment de chez le confiseur Dubuc, installé rue Percière. Sous le Second Empire, sa réputation ne fit que se renforcer. Dans Madame Bovary, Gustave Flaubert en fait mention. En 1865, un confiseur rouennais eut l'idée de lancer la "cartouche du prince impérial" contenant des bonbons au sucre de pomme imitant les balles du célèbre fusil chassepot: un franc succès! Le sucre de pomme est chez lui à Rouen. Parce que la Normandie est le pays de la pomme et que le port de Rouen entretient des liens privilégiés avec les pays tropicaux d'où provient le sucre de canne. Pendant longtemps, on fabrique le sucre de pomme avec du véritable jus de pomme de reinette. La recette était simple et le résultat ne manquait pas de saveur. Mais le produit se conservait mal et l'eau contenue dans le jus finissait par ramollir le sucre. On finit donc par abandonner le procédé vers 1830. Dans un premier temps, on dut inventer (faute d'avoir une meilleure idée) le sucre de pomme.... sans pomme (!), parfumé à l'écorce d'orange ou de citron. Il fallut attendre la découverte des essences naturelles au début du 20ème siècle pour que le sucre de pomme retrouve enfin son goût de pomme.
Initialement, le glucose est
porté à une température de 130 degrés en autocuiseur afin d'être desséché. Il doit perdre toute trace d'humidité pour un bon durcissement ultérieur. La pâte est ensuite refroidie naturellement, pliée et repliée comme une pâte feuilletée. Ainsi l'arôme de pomme peut se diffuser de façon homogène. La pâte ne doit être ni trop molle ni trop dure, car elle risquerait alors de casser au moment où elle passe dans le cylindre qui découpe le sucre aux dimensions voulues. Le bâtonnet est prêt mais doit encore être roulé jusqu'à refroidissement complet. L'emballage se fait aussitôt après pour que le sucre n'ait pas le temps de s'imprégner de l'humidité ambiante, et donc de se ramollir.
Les petits enfants seront sûrement d'accord pour dire qu'à Noël ou aux anniversaires, toutes les occasions sont bonnes pour se faire un petit plaisir de Normand